Peu de gens savent que les handicapés peuvent utiliser les outils numériques

Geoffrey Crofte est UX designer chez Foyer et place les questions d’accessibilité numérique au cœur de son travail.

lundi 22 mai 2023


Créativité et accessibilité font-elles bon ménage ? Rendre un site conforme, est-ce simple ? Par quel chemin devient-on sensible à ces questions ? Geoffrey Crofte s’est prêté de bonne grâce au jeu des questions – réponses. Entretien.

Une photo de Geoffrey Crofte donnant une présentation à DevFest 2020 Nantes
Geoffrey Crofte. Photo : Rémy Chautard

D’où vous vient cet intérêt porté à l’accessibilité ?

En règle générale, les personnes pour qui cette question est devenue une affaire personnelle sont concernées, directement ou indirectement. Par exemple, elles peuvent avoir dans leur entourage proche quelqu’un qui est handicapé, ou le sont elles-mêmes.

Ce n’est pas mon cas, à ma connaissance, mais j’y ai été sensibilisé il y a une dizaine d’années, lors de mes premières expériences professionnelles chez Alsacréations, à Strasbourg. Ils avaient déjà une certaine avance sur la qualité web et disposaient d’un expert accessibilité. J’ai appris à son contact et cela a influé sur mon volet expérience utilisateur. Dès le début, j’ai eu envie de bien faire les choses, afin que les utilisateurs, tous les utilisateurs, puissent naviguer dans les interfaces que je développais.

Aujourd’hui, ce souci est devenu une cause, un combat ou, plus simplement, une évidence, comme on imaginerait mal une maison sans porte d’entrée ?

Avant tout une évidence : cela fait partie intégrante de mon quotidien. Quand je prends une décision de design, elle vaut pour tous les utilisateurs, dont les personnes avec des handicaps. Les textes doivent être suffisamment grands et contrastés pour tout le monde, pour ne citer que cet exemple, mais il y a bien d’autres points d’attention.

Aussi, quand je remarque sur d’autres plateformes des problèmes criants, je le fais remarquer, sur LinkedIn ou Twitter ; en général je suis assez direct. C’est là qu’est le combat pour moi, parce qu’il y a de la résistance au changement. Le retour classique que je reçois, « merci, nous le remontons à nos équipes techniques », soit une réponse polie, n’engendre pas forcément de mise en œuvre à sa suite. Dommage, parce que la solution à appliquer n’est pas toujours compliquée.

Mon expérience au sein du Groupe Foyer, et notamment Foyer Assurances, me permet aussi de comprendre qu’avant toute chose, peu de gens savent que des personnes handicapées peuvent utiliser les outils numériques et que des solutions simples existent. À moins d'avoir des personnes concernées dans notre entourage, nous faisons facilement l'impasse sur ce sujet qu'est l'accessibilité numérique. Parfois c’est juste une attention supplémentaire qui s’intègre dans nos tâches quotidiennes.

Au sein même de votre entreprise, quels défis vous êtes-vous fixés ?

Un audit réalisé début 2023 affiche, pour notre site web, un taux de conformité aux normes en place de 34%. Il y a moyen de doubler ce score assez facilement. Tout comme les organismes publics doivent être exemplaires avant l’application de la nouvelle loi sur l’accessibilité au secteur privé d’ici 2025, de notre côté ce serait bien de prouver qu’en tant qu’assureur, nous sommes les premiers à réaliser cet effort.

« Au-delà de la prise de conscience, il est nécessaire de former. »

Et cet effort profitera à tous : à nos clients, à l’entreprise et c’est aussi une assurance que l’on prend pour nous, plus tard... si nous avons la chance de vieillir.

Qu’il s’agisse du développeur mieux au fait de la sémantique du langage HTML ou des collègues qui rendent leurs PDF plus accessibles, il faut un déclencheur qui les sensibilise aux besoins de ces utilisateurs handicapés.

Au-delà de la prise de conscience, il est nécessaire de former. La moitié de mon équipe de design et huit développeurs suivent cette année une formation en accessibilité. Cela a été décidé l’an dernier. L’accessibilité est un prolongement naturel de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) que nous défendons depuis plusieurs années déjà.

Un design 100% créatif et innovant est-il compatible avec un site 100% conforme d’un point de vue de son accessibilité ?

J’ai tendance à ne pas aimer le terme 100% accessible... mais oui, on peut respecter l’ensemble des critères WCAG ou RGAA et continuer à être créatif. Le site de la métropole de Grenoble est 100% conforme. Il est très beau et, ce qui ne gâche rien, très facile à comprendre. C’est un exemple à suivre.

Aujourd’hui les techniques sont là pour produire des contenus élégants, animés tout en respectant les préférences de celles et ceux qui choisissent de se passer d’effets visuels, d’afficher des contrastes renforcés ou de naviguer en mode sombre par exemple.

S’il fallait aujourd’hui changer quelque chose dans le champ de l’accessibilité, ce serait quoi ?

La réalisation d’audits. Les référentiels manquent parfois de clarté ou d’exemples. De temps à autre, je peine à comprendre ce qu’on cherche à nous dire, pourtant je ne suis pas novice en la matière. Aujourd’hui, n’importe quelle personne, experte ou non, devrait avoir à sa disposition un outil simple, documenté, démonstratif, qui l’accompagne d’un bout à l’autre dans le but d'améliorer l'accessibilité de ses interfaces numériques.