Expliquer avec des mots simples n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît

Depuis 2012, Klaro a pour mission de rendre compréhensibles aux yeux de tous des documents, essentiellement administratifs : cet exercice, qui va au-delà de la reformulation, n’a rien d’un jeu d’enfant.

mardi 22 avril 2025


C’est en 2011 que le Luxembourg signe la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Un an plus tard naît Klaro : le Centre de compétences pour le Langage facile. Aujourd’hui, trois personnes y sont employées à mi-temps. Leur mission principale : informer, sensibiliser, former au Langage facile.

Christopher Smitt et Béa Brosius dans les locaux de Klaro, le 9 avril 2025
Christopher Schmitt et Béa Brosius dans les locaux de Klaro. Photo : Dominique Nauroy

Le Langage facile (leichte Sprache ou son équivalent français FALC, pour facile à lire et à comprendre) va au-delà d’une version simplifiée d’un texte donné. Il s’agit de respecter un ensemble de règles que propose l’association Inclusion Europe. Ces dernières peuvent être précisées en fonction des nuances et des spécificités propres à chaque langue.

Que disent ces règles ? Quelques exemples : une idée par phrase, des phrases courtes, des listes à puce, des exemples issus de la vie quotidienne, pas de métaphore, abréviation ou césure, aucun mot difficile à moins de l’expliquer clairement, préférer les tournures positives aux tournures négatives... À côté de ces règles d’écriture, on trouve aussi d’autres principes spécifiques pour la mise en page et la structuration de l’information, le Web ou encore les vidéos.

Un document administratif est, en règle générale, écrit dans un niveau de langue B2 à C1, expliquent Christopher Schmitt et Béa Brosius : Le Langage facile équivaut à un niveau de langue A1, soit le niveau d’un utilisateur élémentaire. Cela permet aux personnes en situation de handicap intellectuel de comprendre l’information qu’elles ont sous les yeux. Cela offre, par ailleurs, la même possibilité aux personnes peu à l’aise avec la langue française ou allemande, abonde Madame Brosius.

Au-delà de la reformulation

Mais l’opération ne peut se résumer à un processus de traduction : Le choix des mots, le choix des tournures de phrases n’est pas tout. Vous aurez peut-être dans une brochure des éléments superflus, qui n’apportent aucune information dans le cadre du sujet traité, et à l’inverse il peut vous manquer des éléments de contexte. Plus que de simplement reformuler, il s’agit donc d’optimiser le texte initial en vue du but poursuivi auprès des lecteurs, précise Georg Ernst.

Un exemple : Klaro a publié un guide au moment des dernières élections. Il indique comment voter. En cas d’erreur au moment de cocher sur le bulletin, le citoyen peut se sentir désemparé, voire prendre peur. C’est donc une circonstance que nous avons tenus à préciser, pour rassurer et donner toutes les clés, indique M. Schmitt.

Un document en Langage facile prend en général plus d’espace, plus de pages que la version originale : les phrases sont brèves, on doit trouver si possible une phrase par ligne, le texte respire davantage avec un interlignage plus généreux, la taille de la police de caractères est parfois supérieure. Au-delà du contenu textuel, il est tout aussi important de bien structurer son document, de choisir des photos signifiantes, des pictogrammes appropriés, ajoute M. Schmitt.

Klaro est la référence au Luxembourg pour apprendre cette manière d’écrire et de traduire des idées : de nombreux ateliers et coachings ont lieu dans les locaux du château situé à Bettange-sur-Mess, ainsi qu’à l’INAP, pour inciter l’administration publique à s’engager dans cette voie. Klaro ne restreint cependant pas son offre au secteur public : l’Acte européen sur l’accessibilité, qui exige par exemple des produits accompagnés d’instructions dans une langue aisément compréhensible, entre en vigueur fin juin et devrait voir affluer de nouveaux clients.

Comment ça marche ?

Cas pratique : vous avez assisté à la formation dispensée par Klaro et souhaitez rédiger vos premiers contenus en Langage facile. Une fois votre travail terminé, vous pouvez l’envoyer à Klaro attendre que le document soit examiné par les relecteurs de l’atelier « isie ». Cette vérification est assurée par des personnes en situation de handicap intellectuel, qui sont rémunérées à ce titre. Elles sont pour l’essentiel capables de lire de la « leichte Sprache », soit un texte rédigé en allemand en Langage facile. L’allemand est plus facile pour les Luxembourgeois. Par ailleurs, les personnes en situation de handicap auditif ont recours à la Gebärdensprache – la langue des signes en allemand. Mais vu la situation plurilingue du pays, nous conseillons deux versions, en leichte Sprache et en FALC, d’un même texte, pose Mme Brosius, mais tout dépend toujours du public cible : ce dernier peut ne comprendre ni le français, ni l’allemand.

logo Easy to ReadUn échange peut avoir lieu si des contenus restent cryptiques aux yeux du groupe de vérification. Des suggestions de reformulation sont régulièrement proposées. Au terme de cette démarche, si le contenu a bel et bien été vérifié par un atelier et qu’il respecte les règles, il peut être accompagné du logo « Easy to read » de Inclusion Europe.

Il n’y a pas d’obligation à passer par Klaro et l’atelier isie. Toutefois, une société basée en Allemagne ou en France ne bénéficiera sans doute pas de la palette de mots spécifiques utilisés quotidiennement au Grand-Duché (on préfèrera « Formatioun » à « Weiterbildung », « Chamberwahlen » à « Parlamentswahlen », ou encore « handy » à « smartphone »).

Klaro crée également un certain nombre de modèles de documents en Langage facile : un contrat de logement, ou encore la fiche de paie, où pullulent habituellement les abréviations. Ces modèles sont mis à disposition librement.

Si des contenus en Langage facile sont aujourd’hui disponibles sur guichet.lu, il reste un travail immense à réaliser si on considère l’ensemble de l’information aujourd’hui produite par l’administration publique. La priorité devrait être donnée à toutes les informations pratiques, considère Mme Brosius.

Bientôt des règles pour un Langage facile en luxembourgeois

Au-delà de ces missions, Klaro travaille avec le Zentrum fir d’Lëtzebuerger Sprooch à l’élaboration de règles pour un langage simple en luxembourgeois : elles devraient être définies d’ici la fin de l’année. C’est une demande qui devient croissante, explique Madame Brosius, qui estime le défi ambitieux, dans la mesure où il s’agit d’une langue dont l’orthographe n’a pas souvent été apprise à l’école, ce qui crée intrinsèquement une barrière.

Parmi les autres projets que suit Klaro figure Accessilingua, une solution basée sur une intelligence artificielle qui propose une version en FALC / leichte Sprache d’un contenu source. À la suite d’un appel à projets lancé par le ministère de la Digitalisation, un candidat a été choisi l’an dernier. Les premiers résultats sont prometteurs, estime M. Schmitt, pour lequel il ne s’agit cependant que d’une assistance : une relecture restera impérative avant que le document ne soit envoyé à l’atelier isie. Dans un premier temps, ce programme sera uniquement utilisable par les organes gouvernementaux. Mais Klaro espère qu’à terme, il sera ouvert au grand public.