2022, l’année de la prise de conscience
L’accessibilité numérique à la loupe : ce que nous enseignent les analyses des apps mobiles et sites web publics
lundi 20 février 2023
« En progrès, mais peut mieux faire » : voilà ce qui pourrait figurer sur le bulletin des 110 sites web et apps mobiles qui ont bénéficié d’un audit, complet ou simplifié. Parmi l’échantillon retenu en 2022, un peu plus de la moitié des sites ont réussi à atteindre une conformité partielle.
Le sujet de l’accessibilité numérique se diffuse et commence à être pris au sérieux, notamment si l’on se réfère à la deuxième campagne d’audits menée l’an dernier sur un échantillon de sites publics. Cette dernière témoigne d’une évolution positive, même si la période d’étude n’est pas encore suffisamment longue pour valider cette tendance.
Dix-sept sites web publics ont été audités en détails. La note moyenne n’atteint pas les 50% de conformité, seuil délivrant une conformité partielle au prisme de l’accessibilité numérique. Dans l’échantillon, neuf sites dépassent actuellement cette barre. Néanmoins, avec 48%, l’année 2022 gagne quatre points par rapport 2021 (44%). Entre prises de conscience et délais imposés pour la refonte d’un site Internet, l'année 2023 devrait montrer que les bonnes pratiques en la matière sont intégrées et que l’accessibilité est devenue un point clé des cahiers des charges.
Cette moyenne 2022 cache cependant d’importantes disparités. Quarante points séparent ainsi le site le plus accessible du moins accessible. Des sites essentiels dans les domaines de la mobilité ou de l’éducation ne sont pas accessibles aux personnes handicapées.
Qu’est-ce qui peut faire plonger la note ? Un audit, c’est 106 critères répartis au travers de treize thématiques, suivant le référentiel RGAA 4.1. Ici, le plus problématique n’est pas le plus visible : ainsi, les éléments multimédias, telles les vidéos, ne représentent même pas 2% des non-conformités.
Des défauts de conception au cœur même de la machine
Ce qui pose problème, c’est avant tout la base même du site : « éléments obligatoires », présentation et structure de l’information, navigation. Soit, in fine, la majeure partie des non-conformités relevées.
De quoi s’agit-il ? Les « éléments obligatoires » vérifient la validité du code, la présence et la pertinence de la langue du document, son titre, ou encore l’utilisation abusive de balises HTML à des fins de présentation. Mis bout à bout, ce sont des obstacles qui nuisent à une restitution claire de la page par les lecteurs d’écrans, utilisés notamment par les aveugles.
Dans le même ordre d’idées, un défaut d’attention porté à la présentation de l’information peut mener à des textes agrandis, mais illisibles faute d’une mise en page flexible ; à des boutons ou champs de formulaire dépourvus d’indices visuels clairs quand ils sont la cible de saisie ; à des liens dont la nature même n’est pas évidente (absence de soulignement, contraste avec le texte environnant trop faible).
À elles seules, ces deux thématiques comptent un tiers des problèmes relevés.
Très liée à ces dernières, la structuration de l’information inspecte la pertinence des titres, la cohérence de la structure du document ou encore l’utilisation correcte des listes. Ce trio – éléments obligatoires, présentation de l’information, structuration de l’information –, qui comporte en conséquence les pièces maîtresses de l’architecture d’un site, approche la moitié (47%) des non-conformités rencontrées.
En ajoutant la navigation – présences pertinentes et récurrentes d’un menu, d’un plan du site, d’un moteur de recherche –, l’essentiel des non-conformités se trouve ici résumé.
À la suite apparaissent des éléments intégrés en général au corps de la page : l’accessibilité des formulaires, les problématiques de couleurs (contraste insuffisant, information uniquement véhiculée par des couleurs inaccessibles aux daltoniens, images porteuses d’informations, à l’instar des coches vertes ou croix rouges, dépourvues d’alternatives textuelles, donc indéchiffrables par les lecteurs d’écrans), les scripts – via quelques lignes de code, il est aisé de (re)créer menus, carrousels ou encore cases à cocher, mais le risque est grand d’oublier les utilisateurs handicapés en s’éloignant des balises canoniques HTML – et, enfin, les liens : à titre d’exemple, il est impossible pour un lecteur d’écran d’interpréter un lien constitué d’une image sans alternative textuelle.
Pour compléter le tableau, quatre thématiques se présentent sous les 5%, à commencer par les questions de consultation – on note ici le contrôle sur les animations, les limites de temps, l’accessibilité des documents bureautiques –, les tableaux – souvent complexes à appréhender pour les personnes aveugles et malvoyantes, même s’ils sont accessibles –, enfin les éléments multimédia – sous-titrage des vidéos, présence d’une audiodescription... –, les cadres ferment le ban.
Dans le top 5, des problèmes qui peuvent se régler aisément
Reprenons ces 106 critères, sortons-les de leurs thématiques respectives et observons ceux qui sont mentionnés le plus fréquemment, par ordre décroissant :
- Balises HTML utilisées aux seules fins de présentation
- Scripts incompatibles avec les technologies d’assistance
- L’information n’est pas structurée par l’utilisation appropriée de titres
- Le contraste entre la couleur du texte et celle de l’arrière-plan est insuffisant
- Les listes ne sont pas correctement structurées
Ici, la réécriture d’éléments interactifs ; là, un ajustement fin d’une feuille de styles : en fonction des points rencontrés, le temps de la correction peut être variable. Rendre conformes les scripts n’est pas nécessairement une tâche anodine pour les développeurs. Les autres points, qui concernent producteurs de contenus ou designers, peuvent être plus simples à résoudre. Il s’agit de titrer correctement les différentes parties de la page HTML afin d’aider les personnes handicapées à y naviguer facilement, d’utiliser les balises dédiées à la structuration de listes et veiller à ce que le contraste du texte soit suffisamment marqué.
Des audits complémentaires remontent la navigation en tête des problèmes
Afin d’ouvrir une palette plus large, la cellule Accessibilité du SIP (Service information et presse) a elle-même testé 87 sites publics, sur un mode simplifié : trois pages et 53 critères, soit pour chaque site une sélection de pages et de critères restreinte. La méthodologie est donc simplifiée, elle vise à sensibiliser un plus grand nombre d’acteurs en leur faisant remonter des problèmes existants sur leurs sites, sans viser l’exhaustivité.
Moins de critères, moins de pages, un échantillon de sites différent : cette sélection rebat quelque peu les cartes, en mettant en avant les questions de navigation, mais le quatuor éléments obligatoires, présentation et structuration de l’information, navigation affiche un score comparable en cumulant près de la moitié des problèmes rencontrés (48%), avec une prééminence de la dernière thématique.
Les thématiques formulaires et couleurs sont également très présentes.
Ici, la moyenne des 87 sites atteint la conformité partielle (54%). En suivant cette méthode d’audit simplifié, un site décroche le score de 100% (infocrise.public.lu) et une majorité (46) atteint ou dépasse la barre des 50%.
L’intérêt d’un plus large éventail de sites permet par ailleurs de repérer à quel niveau administratif une importante marge de progression est possible. Ainsi, à l’échelon local (communes, syndicats ou fonds communaux par exemple), les niveaux de conformité atteints restent inférieurs de vingt points aux sites placés sous le giron de l’État. Ce dernier tire profit d’un service centralisé qui permet de mieux coordonner des chantiers communs, parmi lesquels l’accessibilité numérique, domaine auquel l’équipe « Web & UX » du Centre des technologies d’information de l’État (CTIE) est sensibilisée et formée, et pour lequel des processus d’assurance qualité ont été établis.
Et sur smartphone ?
En 2022, six apps ont bénéficié d’un audit complet – trois fois plus qu’en 2021. Le faible nombre d'applications testées rend l’exercice de comparaison d’une année à l’autre délicat. L’audit pour les applications mobiles se base sur le référentiel RAAM 1 (106 critères répartis sur quinze thématiques). En moyenne neuf écrans par app ont été testés.
Six apps, trois sous iOS, trois sous Android. Sur la ligne d’arrivée, des différences moins flagrantes : moins de vingt points séparent la queue de peloton de la tête. La moyenne des six apps se situe à 49%, soit cinq points gagnés par rapport à 2021 – là encore, comparaison n’est peut-être pas raison, seules deux apps avaient bénéficié d’un audit lors de la première campagne menée en 2020-2021.
Neuf thématiques sur les quinze du RAAM concentrent la totalité des non-conformités relevées. N’entrent donc pas ici en ligne de compte les points suivants :
- Multimédia
- Tableaux
- Documentation et fonctionnalités d’accessibilité
- Outils d’édition
- Services d’assistance
- Communication en temps réel
Sous « composants interactifs » se cachent des tests visant à vérifier que boutons, liens, zones de saisie, menus, fenêtres de dialogue, onglet, etc. sont compatibles avec les technologies d’assistance et contrôlables notamment par un clavier. Les auditeurs vérifient également si l’utilisateur est averti a priori de chaque changement majeur à l’écran. Cette rubrique compte près d’une non-conformité sur cinq relevées.
Suivent les thématiques « Consultation », « Formulaires », « Couleurs » et « Structure de l’information ». Les cinq premières cumulent ainsi plus des deux tiers des non-conformités relevées (71%). Les quatre dernières thématiques représentent chacune entre cinq et dix pourcents des problèmes constatés.
L’évolution constatée depuis 2020-2021 permet de conclure que ces audits témoignent d’une volonté de mieux faire, volonté qui s’exprime en général clairement lors des réunions de restitution d’audits, et qui pourrait paver la voie vers une année 2023 avec des scores en nette progression. Alors que s’approche l’échéance 2025 pour certains sites et apps du secteur privé, soumis à des sanctions si les impératifs d’accessibilité ne seront pas respectés, le secteur public doit, plus que jamais, montrer la voie.