Et pour l’accessibilité, ça nous fait combien ?

L’accessibilité numérique a un coût. Le SIP s’est entretenu avec six administrations afin de savoir ce qu’elle représente en termes de moyens mis en œuvre.

mardi 14 mai 2024


« Les moyens de l’accessibilité numérique » : c’est avec ce titre en tête que nous sommes allés questionner quatre administrations publiques luxembourgeoises – le Centre des technologies de l’information de l’État (CTIE), la Chambre des Députés, la Ville de Luxembourg et le Syndicat intercommunal de gestion informatique (SIGI) – ainsi que deux administrations françaises : la métropole de Grenoble et la Communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB), dont les sites ont atteint un très haut niveau d’accessibilité.

Image d'illustration représentant deux personnes en cours de négociation
Photo : © Getty Images / istockphoto.com / DragonImages

La question des moyens sous-entend nécessairement celle du budget, mais pas seulement. Il s’agit tout autant de formation du personnel, de volontés individuelles, d’engagement quotidien pour veiller à améliorer au long cours l’accessibilité d’un site, d’une app, des documents bureautiques et, une fois l’excellence en vue, de maintenir ce cap. Tout, sauf une évidence.

Premier constat : en grande majorité, ces administrations ne disposent pas d’un « référent accessibilité numérique ». Cette tâche est donc dévolue à des responsables du département Communication, parfois du Service informatique... pas toujours au fait des spécificités d’un domaine que beaucoup qualifient de complexe.

« Nous pensions être accessibles »

D’autant que, dans le cas de la refonte des sites vdl.lu ou chd.lu, la loi de 2019 relative à l’accessibilité numérique des sites et apps du secteur public n’était pas encore votée. Un certain flou pouvait donc être de mise : sur quel référentiel, sur quelle norme se baser ? « Accessibles, oui nous l’étions, dans un certain sens... sans pour autant connaître avec précision l’objectif qu’il fallait atteindre », confie ainsi Simone Hornick au sujet du site vdl.lu lancé à l’été 2017 et qui, trois ans plus tard, sera jugé non conforme selon les critères du RGAA alors en vigueur. C’est alors une réelle « prise de conscience », selon les mots de la responsable, pour qui « nous pensions être accessibles, nous nous rendons alors compte que les efforts investis n’étaient pas suffisants ».

Deux ans plus tard, le même site est audité, son taux de conformité est doublé, signe d’une réelle prise en compte des impératifs fixés par la loi.

Le site de la Chambre s’offre, lui, une refonte alors que la loi de 2019 est en préparation. Les objectifs sont alors connus et clairs. Pour autant, les audits menés en interne avant la publication en ligne montrent qu’en dépit des exigences d’accessibilité mentionnées dans le cahier des charges, la prestation livrée n’est pas à la hauteur. Le site est non conforme et il faudra un semestre pour apporter une foule de corrections afin d’atteindre la conformité partielle. L’équipe autour de Loïc Saint-Ghislain, qui a géré le projet, ne s’arrête pas là et le site chd.lu figurait en 2023 dans le top 5 des sites les plus accessibles parmi ceux qui ont été audités par le SIP.

L’expert accessibilité, acteur désormais incontournable

Si le chef de projet n’est pas expert en la matière, il peut s’entourer de conseils de professionnels qui sauront aiguiller précisément l’équipe de développement, coupant court à un trop souvent entendu « impossible de rendre cette fonctionnalité accessible ». Ce triptyque maître d’ouvrage – équipe de développement – expert accessibilité est de plus en plus à l’œuvre dans des projets web ou mobile. C’est la méthode employée par la métropole de Grenoble, qui se targue aujourd’hui d’offrir à ses utilisateurs un site conforme, soit 100% accessible.

Ces experts sont précieux, ils ont aussi un coût. Et on peut sentir, ici ou là, une certaine lassitude lorsque, pour la mise en chantier de nouveaux sites ou de nouvelles apps, le maître d’ouvrage doit une fois encore reprendre son bâton de pèlerin vers une terre à évangéliser à nouveau : « En 2015, quand nous avons commencé la refonte du site [vdl.lu], l’accessibilité était un thème inconnu des agences. Je peux vous dire que ce n’est guère mieux aujourd’hui », témoigne par exemple Simone Hornick dans un entretien recueilli mi-novembre 2023.

Certaines de ces agences commencent depuis peu à mettre en avant leur savoir-faire en matière d’accessibilité numérique et en font un argument commercial.

La formation, nerf de la guerre

Liée à la question de la mise à niveau des agences, se trouve celle de la formation des équipes éditoriales : sujet essentiel pour le CTIE, qui gère actuellement un catalogue de quelque 230 sites publics, et dont les scores d’accessibilité figurent dans la moyenne haute des audits. S’il est responsable de l’infrastructure et de la mise en place technique des sites qu’il a sous sa houlette, le CTIE veille aussi à accompagner les administrations dans le respect quotidien des pratiques d’accessibilité. Un e-learning est en préparation, qui portera sur la rédaction de contenus accessibles, assorti d’exercices pratiques. « Les cas de figure rencontrés sont toujours identiques : tableaux dépourvus d’entêtes, absence d’alternative associée aux images, etc. », énumère David Thomas, chef du service WebUX du CTIE.

De 5 à 10% de l’enveloppe

L’accessibilité demande un réel investissement de la part de l’équipe qui conduit le projet. Mais son coût est-il astronomique ? Rapportée à l’enveloppe globale du site chd.lu, elle représente 5% : « Personne n’a eu l’idée de rogner sur ce poste », assure ainsi M. Saint-Ghislain. Du côté de la Ville, l’accessibilité a représenté 7 à 8%. En règle générale, l’accessibilité compte entre 5 et 10% du coût total d’un projet et tend à décroître au fur et à mesure que l’enveloppe globale croît. Il n’est pas interdit de penser que cette proportion soit appelée à baisser, une fois les principes d’accessibilité numérique pleinement intégrés dans les offres des agences de développement web et mobile.

Plus qu’une question financière, ce qui se joue ici a bien davantage trait à la volonté. Il est intéressant de voir comment l’idée d’un site 100% accessible est actée dès le départ et sera tenue dans le cas du site grenoblealpesmetropole.fr. Il est de même manifeste que c’est à partir d’une volonté politique forte qu’une plate-forme accessible et éco-conçue a vu le jour pour la CAPB et les municipalités du Pays basque.

Motivations connexes

Parfois, la motivation est à trouver dans des projets connexes : qu’il s’agisse de la Ville ou de la Chambre, l’un des points noirs demeure la présence de fichiers PDF, toujours plus nombreux, toujours si peu accessibles. Or, travailler avec des fichiers accessibles permet de les rendre lisibles par machines, donc de gagner en efficacité. C’est l’idée que commence à caresser la Chambre afin d’améliorer la transparence du processus législatif, alors que pour l’heure, les échanges entre le gouvernement et la Chambre reposent sur des PDF non balisés.

Dernier point, et non des moindres : le name and praise a sans doute plus d’effets que le name and shame. L’intérêt pour le classement annuel de l’accessibilité des sites et apps publié par le SIP se confirme, et donnera lieu d’ici l’an prochain à un véritable observatoire de l’accessibilité numérique.