2024, les vents contraires de l’accessibilité
Des sites toujours plus accessibles et, pendant ce temps, des apps qui s’éloignent de l’objectif affiché par la loi : ce grand écart, déjà constaté par le passé, pose question
mercredi 15 janvier 2025
D’une année à l’autre, les audits d’accessibilité des sites web du service public affichent des scores toujours plus élevés : voilà le premier enseignement qu’on peut tirer après quatre ans passés à évaluer leur accessibilité.
Chaque année, de 15 à 17 sites font ainsi l’objet d’un audit approfondi. La moyenne de conformité de ces sites s’établissait en 2021 à 44%, pour gagner quatre points l’année suivante, puis six en 2023 et enfin sept l’an dernier, pour atteindre 61%. La tendance est donc positive.
Un site est considéré comme non-conforme s'il obtient un score inférieur à 50%, partiellement conforme si le résultat est compris entre 50% et 100%, et totalement conforme seulement à 100%.
En 2021, quatre sites sur dix atteignaient ou dépassaient le seuil de 50% de conformité ; ils étaient encore moins de la moitié en 2023... et près des deux tiers (63%) l’an dernier.
Un audit de site, ce sont des bons et des mauvais points (136 critères conformes ou non conformes) donnés sur une quinzaine de pages. Si un critère est non conforme sur une page, il le sera automatiquement pour toutes.
100% conforme, c’est possible
Le SIP lui-même a souhaité soumettre le Portail de l’accessibilité numérique à un audit, et a travaillé en vue d’obtenir la conformité demandée par la loi (soit un score de 100%). L’expérience prouve que cet objectif est loin d’être inatteignable.
Nous avons calculé, sur les trois dernières années, quelles étaient les non-conformités les plus récurrentes. Voici les points critiques les plus fréquemment citées dans les rapports d’audits :
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Script incompatible avec les technologies d'assistance
C’est un problème majeur : on peut prendre par exemple une barre de menus inaccessible car impossible à parcourir par une technologie d’assistance, parmi lesquelles on peut citer les lecteurs d’écran, qui vocalisent la structure et le contenu d’un site pour permettre notamment aux personnes aveugles de le consulter.
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Mauvaise structuration de la page ou dans la page
- Balise détournée à des fins de présentation
- Liste mal structurée
- Structure de titres inappropriée
- Page Web mal structurée
Une page mal structurée, ou disposant d’éléments mal structurés, c’est une partie de l’information qui peut échapper aux personnes en situation de handicap. Le cas le plus évident est celui de la liste mal structurée : qui n’a pas, un jour, eu recours à des tirets au lieu d’utiliser la liste à puces canonique ? Cette dernière est pourtant bien pratique pour les personnes en situation de déficience visuelle : le lecteur d’écran sait annoncer l’existence d’une liste structurée avec le nombre d’items qu’elle comporte et des raccourcis permettent de naviguer rapidement entre les listes ou au sein d’une même liste.
Plus gênant encore : la structure de titres inappropriée. À l’écran, il est facile de comprendre la hiérarchie des titres en fonction, par exemple, de la taille des caractères. Cette hiérarchie n’est cependant pas toujours respectée dans le code. Or un lecteur d’écran ne sait pas interpréter ce qui est affiché, il va donc restituer les balises HTML, en particulier les balises titres ou headings (
<h1>
à<h6>
). Elles doivent donc être cohérentes avec ce qui se voit sur la page : ce n’est pas toujours le cas, et cela peut perturber le parcours de navigation.Plus globalement, la page Web elle-même doit se composer de différents blocs (en-tête, zone de contenu principal, zone de navigation, zone de recherche, pied de page). Si cette composition ne se reflète pas dans le code, l’utilisateur de technologies d’assistances peut vite s’égarer.
Moins bloquant, le cas des balises détournées à des fins de présentation peut amener l’utilisateur à s’interroger. Ainsi, pour mettre du texte en gras, il peut être tentant de recourir à une balise titre, ou encore d’utiliser une balise de citation pour mettre un texte en exergue, bien que, dans un cas comme l’autre, il puisse ne s’agir ni de titre, ni de citation.
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Contrastes insuffisants
- Contraste des composants insuffisant
- Contraste du texte insuffisant
- Focus peu ou pas visible
Pour répondre à certains types de handicap visuel, il faut veiller à maintenir toujours un contraste minimal pour les textes et les composants interactifs (boutons, liens, champs de formulaire, etc.) Depuis 2021, les administrations ont travaillé en ce sens, de telle sorte que cette question ne se trouve plus en pole position des non-conformités. Connexe à ces questions, la visibilité du focus est indispensable à celles et ceux qui naviguent à l’aide d’un clavier : le site doit alors être en mesure de rendre la prise de focus de l’élément interactif suffisamment visible.
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Changement de langue manquant
Le Luxembourg est le lieu par excellence où les langues se mêlent, aux terrasses de cafés ou sur les pages Web. Mais... essayez de comprendre quelqu’un qui s’adresse à vous en portugais avec des règles de prononciation chinoises : un utilisateur de synthèse vocale vit la même aventure quand le code HTML de la page demande à la synthèse vocale de lire en anglais un paragraphe écrit en français. C’est difficilement compréhensible. Nous vous invitons à relire notre petit point sur l’attribut lang.
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Version accessible des documents bureautiques absente
Les PDF inaccessibles demeurent aujourd’hui un problème majeur : PDF numérisés en mode image ou non balisés... autant d’exemples qui rendent le document inaccessible. Aujourd’hui, sur les sites publics luxembourgeois les plus visités, ces PDF sont majoritairement inaccessibles, ainsi que le révélait notre étude du printemps 2023. Notons enfin que, dans les déclarations d’accessibilité des sites, qui recensent en particulier les non-conformités et les dérogations pour charge disproportionnée – la masse de travail est considérée telle qu’une dérogation est invoquée –, les documents PDF arrivent en tête de ces dérogations.
Les communes se rattrapent... un peu
Ces audits sont accompagnés chaque année d’une centaine d’audits dits simplifiés, qui offrent un regard complémentaire. Là aussi, les scores moyens ont évolué positivement, de 55% en 2021 à 61% l’an dernier. Ils montrent toutefois une autre répartition intéressante : par niveau administratif, les sites étatiques confirment leur nette avancée devant les sites de communes – ou de syndicats communaux – et les autres – établissements publics, etc.
Tout le monde a grapillé quelques points : six pour l’État et les communes, un pour les autres organismes du secteur public. Cela dit, le taux de variation est plus flatteur pour les communes, qui passent de 42 à 48% (14%) que pour l’État, évoluant de 60 à 66% (10%).
Dans le Top 10 des erreurs les plus courantes, on trouve, outre celles déjà évoquées précédemment, des questions liées aux formulaires : champs dépourvus d’étiquette (la synthèse vocale ne saura préciser s’il faut insérer un prénom, une date de naissance...) ou encore formulaires dépourvus d’aides pertinentes à la correction (lorsqu’il s’agit de champs obligatoires, d’adresses électroniques mal orthographiées, etc.)
Des apps peu mobilisées en faveur de l’accessibilité
S’il faut saluer les bons résultats des sites Web, le tableau est en partie assombri par la relative sous-performance des applications mobiles. Le score moyen des apps auditées se portait à 2022 à 49%, soit un point au-dessus de la moyenne des sites Web audités cette même année. Ce score, malheureusement, va chuter à 43% puis 37% en 2024. Pour la première fois l’an dernier, aucune des applications auditées n’a atteint la conformité partielle.
Cela n’est pas spécifiquement une question de plateforme : si les apps auditées se révèlent légèrement plus accessibles sur Android que sur iOS (44% contre 41%), la différence est trop mince et l’échantillon trop restreint pour établir des conclusions.
Une chose, cependant, est sûre : la moindre implication des développeurs en faveur d’apps accessibles se traduit déjà par l’absence de déclaration d’accessibilité, ces informations capitales qui renseignent sur les non-conformités du site ou de l’app. Alors que près de la moitié des sites du service public luxembourgeois disposent d’une telle déclaration, seules 13% des apps en sont actuellement dotées.
Une administration trop souvent sans solution
Enfin, rappelons ici le droit de chaque citoyen à demander à l’administration publique une version accessible d’une information en ligne qui ne l’est pas. Vingt réclamations ont ainsi été recueillies entre 2022 et 2024. Seulement dans huit de ces cas, une solution a pu être apportée à un problème précis, à court terme, qu’il s’agisse d’une correction concrète du problème sur le site, ou d’une fonctionnalité alternative garantissant un niveau de service équivalent. Les documents PDF inaccessibles constituent le premier motif de réclamations.
En dépit de ces deux dernières pistes d’améliorations, le Service information et presse a pu constater, tout au long de l’année 2024, l’implication réelle et le désir d’investissement authentique de toutes les administrations au sein desquels il a assuré une mission de sensibilisation
Cette année 2025 voit la montée en puissance d’un nouvel organisme public dédié à l’accessibilité : l’OSAPS (Office de surveillance de l'accessibilité des produits et services). Dès le mois de juin, le secteur privé, mais aussi certains organismes du secteur public, notamment dans le domaine de la mobilité, vont devoir proposer produits et services accessibles. Cet office, cette fois, est doté d’un pouvoir de sanction financière.
Cet article est une synthèse d’un rapport sur l’état de l’accessibilité des sites Internet et applications mobiles du secteur public au Luxembourg, produit tous les trois ans, et destiné à la Commission européenne. Il s’agit du deuxième rapport de ce genre écrit par le Service information et presse. Vous y trouverez une description des méthodes d’audit employées, les résultats complets (audits, réclamations d’usagers, dérogations...) et les analyses détaillées des données recueillies au cours de la période 2022 – 2024.